"Il est très important d’avoir la propriété privée des moyens de production et de travailler collectivement à la propriété collective des moyens de diffusion. J’ai théorisé cela depuis longtemps dans mes textes. Je ne me contente pas de faire de la théorie, parce que je rencontre tout cela en pratique. […] Les intellectuels, les chercheurs, les artistes ne sont pas du tout préparés à lutter rationnellement dans une logique de Realpolitik. Ils croient que faire un livre consiste à écrire le livre, puis on ne s’en occupe plus. Ils ne savent pas qu’il faut se livrer à toute une série d’opérations pour assurer la vie matérielle et intellectuelle du livre. […]" En 2001, à l’époque où il tient ces propos, Bourdieu s’inquiète des risques qu’une « révolution conservatrice dans l’édition » fait peser sur l’autonomie des intellectuels. Il peut invoquer les entreprises éditoriales qu’il a mises en place : Actes de la recherche en sciences sociales en 1975, la revue Liber et les Éditions Raisons d’Agir dans les années 1990. La conjoncture et sa propre position sont bien sûr différentes dans les années 1960, mais la recherche de débouchés de publication assurant à ses productions et à celles du CSE une certaine autonomie est déjà très présente. Bourdieu s’investit alors beaucoup, avec les chercheurs de son groupe, dans les enquêtes empiriques, mais se soucie aussi d’en rendre publics les résultats, parfois dans des délais rapides et dans des lieux diversifiés : revues scientifiques, littérature grise, ronéotypés, revues intellectuelles, périodiques, livres touchant un « public cultivé » … Si les lieux de publication sont choisis en fonction d’affinités intellectuelles, il est tenu compte des propriétés des textes qui, selon leur sujet et leurs implications théoriques ou politiques, ne visent pas les mêmes publics.